UPFI
26
05
2025
Tribune / Ne laissons pas l’IA générative tuer la création musicale

Une tribune proposée par l'Adami, la Felin, la Gam, l'Uman, le Sma, Technopol et l'Upfi et parue dans le journal Libération et accessible à cette adresse.

L’intelligence artificielle générative aura-t-elle la peau de la création musicale ? Le streaming, qui a su il y a quelques années apporter une réponse légale au piratage, se laisse aujourd’hui déborder par l’afflux de "contenus" sonores produits grâce à des technologies s’appuyant sur l’IA, qui constituent une menace très concrète pour les indépendants du secteur, déjà frappés par une difficulté structurelle à générer des revenus numériques, donc à se financer.

En ouvrant leurs serveurs à ces contenus artificiels, les plateformes dévaluent hélas la musique produite par les artistes et par là même le modèle du streaming musical qu’elles ont popularisé. Avant l’irruption de l’IA générative, elles évoquaient déjà la dilution des revenus du fait de l’hébergement de 150 000 nouveaux titres chaque jour!

On ne peut que saluer, à ce titre, les démarches de transparence initiées par Deezer, qui a révélé identifier quotidiennement plus de 20 000 nouveaux contenus créés par des bots, soit le double du volume constaté en janvier et 18% des nouveautés uploadées sur la plateforme.

Ces chiffres confirment la croissance exponentielle de la production de contenus artificiels. Les créateurs, artistes, producteurs et distributeurs indépendants ne peuvent se satisfaire d’un laisser-faire technologique et réclament la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de la création musicale humaine.

En Europe, 80% des nouveautés musicales sont produits chaque année par des indépendants. Si ceux-ci incarnent de fait la diversité musicale et la prise de risque artistique dans un environnement déjà extrêmement concurrentiel, ils sont désormais confrontés à la concurrence brutale et peu scrupuleuse de ces contenus artificiels, produits par des modèles qu’ils ont de surcroît contribué à entraîner et perfectionner malgré eux, sans autorisation préalable et sans aucune contrepartie financière!

Les indépendants subissent donc bel et bien une double peine, qui entame désormais leur capacité et leur motivation à faire émerger de nouveaux artistes. Or l’offre mondiale de musique se nourrit de la vitalité de la création locale : y renoncer, c’est perdre notre valeur sur le marché mondial, notre investissement productif, nos emplois, notre identité culturelle, notre soft power.

Certes, les travaux menés à Bruxelles visent à créer un cadre permettant aux technologies fondées sur l’IA de se développer sans porter atteinte aux acquis du droit d’auteur et des droits voisins, mais la troisième version du Code des Bonnes Pratiques des Fournisseurs d’IA générative n’a fait que trahir les maigres promesses du Règlement européen sur l’IA et accentuer la précarité des créateurs.

En amont, l’entraînement des modèles d’IA générative doit se faire dans le respect de la transparence et sous condition de rémunération des ayants droit (par la négociation de licences individuelles ou par la gestion collective), dès lors que ceux-ci n’ont pas opposé leur opt-out ; en aval, nous appelons les plateformes à faire preuve de volontarisme pour éradiquer les contenus 100% IA qui diluent la valeur de la musique. C’est l’attractivité du modèle du streaming musical qui se joue ici et que l’afflux de contenus "parasites" ne ferait qu’élimer.

À travers les travaux en cours ou lancés récemment, la France doit prendre une fois pour toutes l’engagement de préserver l’édifice réglementaire qu’elle a patiemment construit au bénéfice de la culture afin de défendre ses artistes, la diversité culturelle, notre héritage culturel et le processus de création humaine.

Les producteur.ice.s, eux.elles, s’engagent auprès des créateurs et créatrices et des fans de musique à : jouer un rôle actif dans la défense de la souveraineté culturelle européenne ; contribuer à l'amélioration des recommandations algorithmiques en fournissant des métadonnées certifiées, dans le cadre d’un modèle n’excluant aucun acteur ; préserver l'émergence de nouveaux genres et la diversité esthétique ; préserver le patrimoine enregistré depuis des décennies.

Unissons-nous, alertons contre les dangers liés à l'IA et demandons la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde du secteur.